Époques moderne et contemporaine

Le territoire et les hommes

Si dans les Yvelines le déséquilibre du peuplement entre nord et sud se confirme, en revanche, dans les Hauts-de-Seine, il se ressent davantage entre l’est (agglomérations limitrophes de Paris) et l’ouest.

 Les cartes des XVIIe et XVIIIe siècles, comme celle de Cassini ou la carte des Chasses du roi, constituent des témoignages précieux sur l’implantation humaine à l’époque moderne.

Les paroisses les plus peuplées des Yvelines pour cette époque sont Chevreuse, Houdan, Mantes-la-Jolie, Marly-le-Roi, Montfort-L’Amaury, Saint-Arnoult-en-Yvelines, Triel-sur-Seine et, surtout, Saint-Germain-en-Laye et Versailles, toutes deux villes royales.

 

À partir du XVIIe siècle, l’ouest francilien bénéficie d’un essor économique important, notamment grâce à la présence royale. En effet, dès la fin du XVIe siècle, les souverains disposent d’un budget et d’équipements personnels. Dès lors, les résidences royales deviennent une source de profit pour les habitants de la région au lieu d’être une charge. Auparavant, les monarques "nomades" réquisitionnaient tout ce qui était nécessaire pour l’entretien et le fonctionnement de leur maison, et changeaient donc régulièrement de gîte.

Louis XIV séjourne à Saint-Germain-en-Laye jusqu’en 1682, puis à Versailles où la "ville neuve" est créée dans le prolongement architectural du château. Elle dépend de l’autorité du roi et il faudra attendre la veille de la Révolution pour que Louis XVI y accepte un corps municipal.

 

 

 

 

Le développement de Paris, qu’il faut approvisionner, favorise également cet essor économique et commercial. Il existe en effet plusieurs marchés réguliers et foires ponctuelles ainsi que des artisans locaux qui offrent des services variés (boulangers, vitriers, drapiers, aubergistes…).

 

Le marché aux bestiaux de Poissy, réputé au Moyen Âge, est resté l’un des plus importants de la région jusqu’au XIXe siècle.

La ville de Saint-Arnoult-en-Yvelines, connue pour son marché au blé au Moyen Âge, s’étend au XVIIIe siècle et accueille toujours de nombreux marchés et foires. En 1634, lorsque la ville de Versailles commence à se développer, un marché hebdomadaire et trois foires annuelles y sont établis.

Les Hauts-de-Seine avaient aussi leur marché aux bestiaux où s’approvisionnaient les bouchers de Paris. D’abord situé à Bourg-la-Reine, il est transféré à Seaux par Colbert, en 1677.

D'une production agricole et artisanale à l'industrialisation

L’activité agricole s’effectue toujours dans le cadre d’une seigneurie, comme au Moyen Âge.

 

L’amélioration de la production agricole dégage cependant un surplus qui rend possible le développement du commerce de gros volumes.

 

Sous l’Ancien régime, tant dans les Hauts-de-Seine que dans les Yvelines, ces régions étaient avant tout terres de culture et directement vouées à l’approvisionnement de la capitale. Les plaines alluviales des bords de Seine, les plus riches, portaient du blé, que les paysans menaient moudre au moulin situé sur la hauteur : deux d’entre eux subsistent à Puteaux et Nanterre. En plus du blé, on trouvait également du seigle, de l’orge, de l’avoine, du millet, du colza, des plantes fourragères…

À cette époque, presque chaque maison possède son lopin de terre, plus ou moins grand, dans lequel poussent des oignons, des épinards, des laitues, des choux, de l’oseille ou du persil... Du reste, on sait que Sceaux était réputé pour ces ciboules (espèce d’ail) et que l’abbaye de Saint-Denis se fournissait à Rueil en cresson.

 

Le département des Yvelines continue ainsi de commercialiser ses vins. Du côté des Hauts-de-Seine, à Bagneux, Meudon, Suresnes et Courbevoie la vigne est aussi présente. On sait que le vin produit était âpre, sec et peu chargé en alcool. Mais il était très apprécié, si bien que les vignerons de Bourgogne et de Champagne, lors des mauvaises récoltes, venaient acheter leur vin sur le territoire alto-séquanais pour le revendre chez eux sous leurs étiquettes !

 

 

L’extension des agglomérations, à Versailles ou à Saint-Germain-en-Laye, nécessite une grande quantité de matière première dont une partie est prélevée dans les carrières locales. Comme son nom l’indique, la ville de Carrières-sur-Seine (78) en exploite une dès le Moyen Âge, toujours en activité à l’époque moderne, tout comme la ville de Conflans-Sainte-Honorine.

Le nord-ouest des Hauts-de-Seine présente un plateau calcaire d’où on a extrait, depuis l’époque gallo-romaine, la pierre à bâtir et la craie (plâtre), comme les carrières souterraines réputées de Meudon.

 

Ainsi, une passerelle entre artisanat et industrie s’installe progressivement dans tous ces lieux de production.

 

Dans l'ouest francilien, les gisements d’argile sont également très nombreux. Le département des Yvelines compte des ateliers de céramique, de tuilerie mais aussi de briqueterie. Témoins de cet artisanat, les noms de certains lieux-dits où se situaient ces productions : la Tuilerie, la Marnière, la Briqueterie ou Buqueterie, le Trou à Glaise, les Glaises, Langlaiserie, la Glisière, la Fosse rouge, le Trou rouge

 

À Vaux-sur-Seine (78), par exemple, on construit une entreprise de faïence, puis de porcelaine, en activité pendant une quinzaine d’années à la fin du XVIIIe siècle. L’endroit où elle se situait s’appelle aujourd’hui "La Manufacture", terme consacré à ces premières industries.

Le registre d’État civil de la commune de Richebourg (78) révèle une très forte présence d’ouvriers, de journaliers et de contremaîtres travaillant à la faïencerie qui fut fondée vers 1835-36.

 

Dans les Hauts-de-Seine, il faut évidemment évoquer les productions de céramique et de faïence à Saint-Cloud, Sceaux et, notamment, celle révélée avenue du Général Leclerc à Bourg-la-Reine, grâce au diagnostic réalisé en 2012 par le Service archéologie des Hauts-de-Seine (cf. vaisselle miniature retrouvée dans une fosse).

 

La célèbre manufacture de Sèvres qui continue à faire parler d’elle aujourd’hui, à l’échelle nationale et internationale, est devenue Cité de la céramique. Transférée en 1756 de Vincennes à Sèvres, cette "Manufacture royale de porcelaine", dont la production était particulièrement appréciée de Madame de Pompadour, avait le privilège d’inscrire sur les pièces d’ouvrage le chiffre du roi (monogramme) : deux " L" entrelacés.

Elle propose encore aujourd’hui des pièces haut de gamme, perpétuant un artisanat d’excellence, présenté dans de nombreuses expositions, salons et foires d’art contemporain (https://www.sevresciteceramique.fr/).

La Cristallerie de Sèvres ou la "Verrerie royale" est aussi installée par Madame de Pompadour, en 1755, mais en réalité dans le bas de Meudon, au bord du fleuve (45, rue de Vaugirard). Célèbre dans toute l’Europe, cette production excelle aujourd’hui encore mais l’usine de Meudon a été détruite (http://cristalsevres.com/depuis-1750/).

 

Citons encore les manufactures royales de cire à cacheter de Bourg-la-Reine et d’Antony, fondée en 1702.

 

Dans les Yvelines ont été créées, en 1760, les célèbres "Toiles de Jouy", dont les motifs végétaux et les personnages imprimés en camaïeu ont fait la réputation (http://www.museedelatoiledejouy.fr/). La manufacture de tissus (ou Manufacture Oberkampf, du nom de son créateur) est installée à Jouy-en-Josas et prospère pendant de longues années, exportant sa production dans de nombreux pays. Mais face à la concurrence, la manufacture fermera en 1843.

 

Enfin, notons que la ville de Rueil-Malmaison (92) a vu à cette période le développement de blanchisseries dont les clients étaient pour la plupart parisiens. On sait par exemple que le linge du Palais de l’Élysée y a longtemps été blanchi ! Un diagnostic archéologique réalisé en 2014 par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) a mis au jour l’un des bâtiments de la blanchisserie Trumeau, bien connue. Construite vers 1830 et démolie en 2013, les archéologues ont pu y retrouver quelques éléments comme une fosse à cendre de la buanderie, de la céramique à glaçure jaune et cinq murs en calcaire de différents bâtiments.

Architecture et habitat

Quelques châteaux modernes fouillés

Contrairement à nombre de châteaux forts, celui de Beynes (78) n’a pas été abandonné ou détruit après le Moyen Âge. Il fait partie des châteaux qui ont été adaptés aux exigences de la Renaissance. En 1553, Henri II l’offre à sa favorite, Diane de Poitiers. Quelques années plus tard, celle-ci fait appel à l’architecte Philibert Delorme pour l’aménager. Le château devient un lieu de détente et de promenade ; deux pavillons de style Renaissance sont construits. Des relevés archéologiques, réalisés par le Service archéologique départemental des Yvelines, ainsi que le devis de leur démolition en 1732, ont permis de les localiser et d’élaborer une restitution de ces pavillons. Ils comportaient de grandes cheminées, de grandes fenêtres et des planchers pour améliorer le confort.

 

De la même manière, le roi Henri II commande à Philibert Delorme la construction du château royal de Saint-Léger-en-Yvelines au milieu du XVIe siècle. Mais dès 1668, l’édifice est démoli sur ordre de Louis XIV. Des études archéologiques sont venues confirmer l’exactitude de la gravure représentant le château, réalisée par Androuet Du Cerceau, au XVIe siècle. La moitié du château a pu être restituée et une partie de l’autre a disparu. Les débris de la démolition ont permis de connaître les matériaux utilisés : la brique et la pierre pour les murs, l’ardoise pour la couverture. Les fouilles ont également révélé que le château était édifié sur une ancienne forteresse médiévale, dont une partie avait été intégrée dans l’édifice par Philibert Delorme.

 

Sous l’Ancien Régime, les résidences des grande et petite noblesses – du roi à la riche bourgeoisie, en passant par les grands seigneurs, les ministres, les favorites et même les femmes à la mode – fleurissent sur le territoire alto-séquanais de par sa proximité avec Paris et le pouvoir royal. Presque chaque commune possède son château : Madrid à Neuilly, à Meudon (détruit), Saint-Cloud, Issy, Clichy, celui de Verny à Antony, de Montrouge, de Vanves ou encore de Malmaison sous Napoléon.

 

Cependant, tant dans les Yvelines que dans les Hauts-de-Seine, les périodes révolutionnaires (1789, 1830, 1848, 1871) et les deux guerres mondiales, propices aux destructions massives, ont bien souvent marqué la fin de ces édifices, symboles puissants de la ruine de l’Ancien Régime en 1789 et victimes collatérales des conflits (comme à Saint-Cloud, le 13 octobre 1870, un obus tiré depuis le Mont-Valérien provoque l’incendie du château).

 

Depuis lors, s’est développé un fort attachement aux châteaux qui ont résisté ou qui ont pu être restaurés. L’archéologie est un moyen de remettre en lumière certains d’entre eux comme l’ont prouvé les prospections réalisées dans la cour d’honneur du château de Sceaux, par l’INRAP. Dans le but de retrouver les ailes disparues du château, le Département des Hauts-de-Seine a commandé, en 2008, une étude basée sur la détection électrique : en envoyant un courant de faible intensité dans le sous-sol, on peut mesurer sa résistivité et en déduire l’emplacement d’éléments construits. Les archéologues ont identifié des "anomalies" correspondant bien aux ailes du château, représentées sur des plans anciens, la grille de clôture de la cour d’honneur et même l’ancienne chapelle édifiée par Colbert.

 

 

Des jardins historiques

L’organisation géométrique des jardins de l’époque moderne dits "à la française" en font des éléments d’architecture à part entière. Les fouilles complètent la connaissance que les plans conservés peuvent donner sur l’implantation des végétaux, des éléments liés à l’eau, ainsi qu’au mobilier de ces jardins.

Ainsi, dans le cadre d’un projet de mise en valeur du jardin de Versailles, le bosquet de l’Encelade, aménagé en 1675, a pu être fouillé en 1990 afin d’en comprendre le treillage d’époque. Ce dernier entourait le bassin toujours visible. Avec la découverte des fondations en pierre de ce treillage, encore en place, son positionnement général a pu être restitué.

 

Par ailleurs, les bassins des anciens bosquets du "Dauphin" et de "la Girandole", situés dans le parc de Versailles, ont également fait l’objet de fouilles en 1994. En vue d’une campagne de replantation, les fouilles étaient destinées à prendre connaissance des structures encore existantes pour orienter la disposition des nouveaux végétaux Les bosquets symétriques, datant de 1665, se composaient d’un bassin rond au centre, entouré d’allées inscrites dans un carré. Les vestiges mis au jour ont ainsi permis de repérer deux bassins jusqu’alors inconnus.

 

Des fouilles ont également eu lieu dans le parc du château de Marly, commencé en 1679 sous la direction de Jules-Hardouin Mansart et détruit au XIXe siècle. L’architecture du parc et de ses bâtiments était alors peu connue. Les fouilles ont porté sur les fondations des pavillons situés dans le parc, les allées de treillage, les aqueducs souterrains (alimentés par la fameuse machine de Marly), la cascade champêtre et des fosses d’aisance. Le parc a livré de nombreux objets comme des fragments de vitres, des morceaux de marbre et du carrelage multicolore en faïence. Ces carreaux du XVIIe siècle provenaient notamment de Saint-Cloud, Lisieux et même de Hollande (probablement Delft). 

Six bassins, nommés "de faïence" (car ornés de carreaux au fond et sur les côtés), prenaient place sur une grande terrasse, autour du château. Entourés de balustrades en fer, décorées d’animaux en plomb peint, les bassins étaient ornés en leur centre de statues en marbre.

À l’écart du château, le "Pavillon des bains" renfermait des baignoires en cuivre où l’on pouvait se laver. Cette pièce des bains était, comme les bassins, carrelée de faïence de Hollande aux décors variés : paysages, villages, motifs géométriques, fleurs de lys…Dans les latrines de ces pavillons, les archéologues ont découvert des objets domestiques en verre et en faïence de la seconde moitié du XVIIIe siècle : mobilier de table et de toilette tels un pot à eau ou une cuvette décorés aux armes du château.

 

 

Les parcs des châteaux dans les Hauts-de-Seine n’échappent pas à la mode de ces jardins "à la française". André Le Nôtre, par exemple, a su aménager les parcs des domaines de Sceaux et de Saint-Cloud, malgré un terrain plutôt escarpé pour ce dernier. On dit même que les aménagements qu’il réalise à Saint-Cloud sont une de ses plus belles réussites grâce aux magnifiques jeux de perspective dans un paysage domestiqué.

En complément des connaissances sur ce parc issues des plans, inventaires, et peintures, l’Association pour les Fouilles archéologiques nationales (AFAN), qui a donné naissance à l’INRAP, a fouillé une partie du domaine en 1994, préalablement à des travaux de restauration des murs du jardin, à l’emplacement du château. Les sondages ont permis la mise au jour de deux pièces souterraines dites "des Goulottes", sous le parterre de l’Orangerie et identifiées comme des "fabriques" de jardin (ou "Folies", constructions dédiées uniquement à l’ornement). Datées de 1789 et utilisées jusqu’en 1813 au moins, elles auraient été édifiées pour Marie-Antoinette puisque Louis XVI lui avait acheté le château en 1785.

 

Au XVIIIe siècle, comme à Versailles où Marie-Antoinette fait installer les jardins dits "à l’anglaise", les  jardins alto-séquanais se transforment et s’adaptent à cette mode paysagère. En 1799, date d’achat du château de Malmaison par Joséphine de Beauharnais, le parc est remanié dans des compositions moins symétriques, plus "naturelles", voire déjà romantiques, tout en conservant la maîtrise de cette fausse nature.

Vie spirituelle

L’époque moderne est une période d’ébullition spirituelle qui remet en cause la suprématie du catholicisme "officiel".

Comme dans le reste du royaume, les Yvelines sont témoins des guerres de religion du XVIe siècle entre catholiques et protestants. Les conflits provoquent le pillage de certains villages comme celui de Saint-Arnoult-en-Yvelines. Cependant, la population restant en majorité catholique, les luttes, dans la plupart des cas, ne furent pas sanglantes.

 

Au XVIIe siècle, au sein même du catholicisme, différents courants apparaissent. L’un des plus virulents, auquel Louis XIV et la papauté s’opposent, est le courant janséniste. Ses adeptes, réfugiés à l’abbaye de Port-Royal-des-Champs (Magny-les-Hameaux), sont finalement expulsés en 1709 et l’abbaye est rasée en 1711 sur ordre de Louis XIV. Quelques sondages archéologiques ont eu lieu dans le verger de l’abbaye, permettant la restitution de son état du XVIIe siècle.

 

La ville de Nanterre, importante depuis l’époque gauloise, accueille dès le XVe siècle des pèlerins venant se recueillir devant le "puits miraculeux" où Sainte Geneviève aurait guéri la cécité de sa mère au Ve siècle. La commune devient un haut-lieu religieux sous l’Ancien Régime où l’on combat la Réforme. C’est notamment le curé-prieur Paul Bernier, avec l’appui d’Anne d’Autriche, qui est chargé de redresser la situation spirituelle. Celui-ci s’est, du reste, rendu à plusieurs reprises en pèlerinage près de ce puits qui est aujourd’hui visible dans la cour du presbytère, près de l’église Sainte-Geneviève.